23 JOURS
17 HEURES
54 MIN
8 SEC
après la catastrophe d'Escaudoeuvres, Xavier Bertrand n'a toujours pas pris la parole
C’est sans doute la pire catastrophe écologique depuis vingt ans en France. Pour sa pollution de l’Escaut en 2020, l’industriel sucrier Tereos (Beghin-Say) vient d’être condamné à 500 000 euros d’amendes – plus que le naufrage de l’Erika – et neuf millions de dommages et intérêts. Rien qui ne saurait entacher le crédit de l’industriel auprès d’élus qui n’ont cessé, depuis cette nuit tragique du 9 avril 2020, d’accorder dérogations sur les insecticides et subventions d’investissement. Pas même les soupçons d’esclavage au Brésil, révélés dernièrement. Devant la nature comme face à l’adversité, nos betteraviers sont vraiment des tueurs.
Le 9 avril 2020, ainsi que nous le relations à l’époque, un bassin de décantation de Tereos déversait 100 000 m3 d’eau contaminée dans l’Escaut. A l’audience du 17 décembre dernier, l’avocat déclinait « toute responsabilité » de son client dans la mort d’au moins 90 tonnes de poissons – toute vie sur plus de 70km.
Le juge a considéré la chose différemment, infligeant une amende de 500 000 euros au deuxième groupe sucrier mondial. « La décision peut apparaître sévère effectivement a priori, reconnaît aujourd’hui l’avocat, mais sur le montant c’est très inférieur aux demandes qui ont été faites [1]. » C’est tout de même plus que la dernière grande catastrophe survenue en France, le naufrage de l’Erika, qui avait valu à Total une amende de 375 000 euros, soit 424 000 euros d’aujourd’hui. La relativisation est donc toute relative.
Avec les poissons, tuer les abeilles
Les betteraviers de Tereos cultivent en France 200 000 hectares, sur lesquels, malgré l’interdiction de 2018, il est toujours possible de planter des semences enrobées de néonicotinoïdes, cet insecticide « tueur d’abeilles ».
Deux ans après la catastrophe d’Escaudœuvres, le 9 décembre dernier, le ministre de l’agriculture Marc Fesneau s’exprimait devant la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB), le syndicat de la profession : « Une troisième [dérogation] est à venir, en tout cas je l’espère [2] », pour la campagne betteravière 2023. Que peut-on leur refuser, malgré leurs catastrophes à répétition ? Le président de la CGB lui a répondu que trois années de dérogation ne suffiront pas, la « chimie » demeurant la « solution » pour assurer les rendements. D’autres dérogations sont donc à prévoir.
Même indéfectible soutien du côté de la Région. Mille jours après la catastrophe, on attend toujours la réaction indignée de Xavier Bertrand. Quelques jours avant l’audience, son Conseil régional accordait encore 870 000 euros de subventions à Tereos pour l’installation d’une usine de glucose sur le site de Mesnil-Saint-Nicaise, dans la Somme [3]. Et la Région de saluer le « plan d’engagement RSE » et les ambitions de « durabilité » de l’entreprise. Doit-on vraiment soulever l’ironie de l’histoire ?
Et du Brésil, quelles nouvelles ?
Comme nous en faisions déjà état, Tereos est un producteur majeur de sucre de canne et d’éthanol au Brésil. La défaite de Jair Bolsonaro, ennemi revendiqué des inspecteurs du travail et des lois environnementales, est sans doute une mauvaise nouvelle pour notre sucrier local – qui s’en remettra.
En 2007, Libération révélait les morts parmi les coupeurs brésiliens de canne à sucre, payés au rendement, exténués par les cadences et leur état d’esclave [4]. Sur les 23 morts recensés de 2004 à 2009, trois travaillaient indirectement pour Tereos. Il aura fallu attendre 2013 pour que le paiement à la tonne soit interdit au Brésil.
Malgré cette interdiction, plusieurs rapports d’ONG et du Bureau of International Labor Affairs, le département du travail des États-Unis, relèvent aujourd’hui encore les conditions d’esclavage des coupeurs de canne brésiliens. Dont certains travaillaient encore pour Tereos en 2018, ainsi que vient de le relever Le Monde, le 31 décembre 2022. C’est le cas à l’usine de Trapiche, dans l’État de Pernambouc, accusée également de rejeter ses déchets toxiques dans l’estuaire de Sirinahem.
Certes, l’industrie betteravière est aujourd’hui reconnue coupable d’écocide, et elle va payer. Mais les responsabilités dépassent son simple cas, et même ce seul accident. Toute une caste de ministres et d’élus locaux méritent de passer devant un tribunal pour leur silence sur la catastrophe du 9 avril 2020, et pour leur complicité avec cette catastrophe permanente et globale qu’est Tereos.
Renart
Illustration : Modeste Richard
En avril 1974 déjà, La Gueule ouverte publiait ce reportage sur les conditions de travail dans une usine de sucre : La Picardie dans la mélasse.