Connaissez-vous Rio Tinto ? Le genre de multinationale extractive pointée par toutes les ONG de la planète pour ses dégâts écologiques ? Le 24 novembre dernier, le Conseil régional des Hauts-de-France lui attribuait une subvention de 147 000 euros pour produire, dans son entreprise Borax de Coudekerque, un dérivé de lithium et borate pour voitures électriques. Si la somme est modeste, la décision est emblématique : votée à l’unanimité des suffrages, droite, gauche, « écolos » compris, elle prouve que de l’Europe à la dernière des collectivités, la manne est, et restera, grande ouverte sur les industriels de la « Transition ». Quoi qu’il en coûte pour l’environnement mondial..
Les contorsions de l’élu régional « écologiste » Gilles Mettai montrent un volontarisme à toute épreuve :
« Le projet Borax est essentiel à la transition énergétique. Cependant, il est impossible de passer sous silence l’historique de Rio Tinto, responsable de catastrophes écologiques au Canada, en Colombie britannique, infectant les eaux, les sols et les populations locales. Alors que nous engageons des fonds publics, il est impératif de nous assurer que ce projet respectera les normes environnementales [1]. »
Merci de faire respecter la moindre des choses.
Cette décision publique suscite une mise au point face aux prétendues mauvaises nouvelles concernant le secteur des batteries : emblématique de la « Transition », serait-il en train de faire pschitt ? On peut la lire dans le dernier numéro du journal La Brèche. A quoi nous ajoutons ici quelque complément d’enquête au sujet de l’extractivisme vert et insoumis.
Gérer la fin du monde...
Borax raffine depuis 1902 à Coudekerque dans le Dunkerquois des dérivés du bore, un minerai essentiel à l’industrie chimique et pharmaceutique (pour les engrais notamment), l’industrie nucléaire, la production de nickel ou de produits ignifuges. Ses propriétés dissolvantes et détergentes sont connues des orfèvres et des céramistes depuis 4 000 ans, mais sa transformation industrielle en a concentré la production, et donc les nuisances, en quelques endroits de la planète. Dont chez nous, selon la règle jamais contredite depuis 250 ans : « Une merde à installer ? Pensez au Nord-Pas-de-Calais ! »
Le bore transformé à Dunkerque a d’abord été extrait en Turquie et aux États-Unis, les deux principaux extracteurs au monde. La mine de Boron en Californie, la plus grande de la planète, est propriété de Rio Tinto. De même que le projet minier de lithium-borate, annulé pour un temps en Serbie, est un projet de l’industriel australien. Rio Tinto investit énormément ces dernières semaines dans l’exploitation de lithium [2], notre enquête sur les gigafactories devait un jour ou l’autre nous entraîner sur les pas de ce géant de l’extraction (3ème mondial). Puisque personne ne le fait à notre place.
Aucun élu du Conseil régional d’aucun bord, au moment du vote de la subvention à Borax, n’a jugé pertinent de rappeler combien l’entreprise avait ici même pollué les sols pour des millénaires. L’usine a entassé plusieurs décennies durant 680 000 m³ de déchets dans une décharge à ciel ouvert le long du canal de Bourbourg. Les données de surveillance des sols font état de métaux lourds et d’arsenic, des polluants qui ne se dégraderont pour ainsi dire jamais. Dans 200 ou 500 ans, des Dunkerquois mourront encore de cancers à cause de Borax.
Devant une situation insoluble, mais tellement banale en Nord-Pas-de-Calais, en 2006, la décharge a été « membranée », c’est-à-dire isolée du sous-sol par une membrane « géotextile », puis recouverte de terre « propre », et enfin végétalisée. Cet acte désespéré a mission de retarder la dispersion des toxiques par le sol et les airs, et donc leur absorption par les poumons et les eaux de boisson. Aujourd’hui, les exploitants d’éoliennes lorgnent sur cette surface condamnée. Que faire d’autre ? La communauté des âmes vertes pour la Transition juste saluera un projet bénéfique pour l’emploi et le climat.
...avec les extractivistes verts et insoumis
Comment sommes-nous arrivés à cet unanimisme devant Borax / Rio Tinto ? Notre enquête Au nord de l’énergie prétend donner quelques clés, et rappelle dans son quatrième chapitre que les eurodéputés « Écologistes » et « Insoumis » avaient déjà voté en faveur du règlement européen sur les matières critiques. Après le développement durable et la transition juste, l’extractivisme vert. Rien ici ne devrait surprendre, donc.
Ajoutons que le Programme des « Écologistes » aux Européennes 2024 atteignait déjà, en ces matières, des sommets de littérature institutionnelle : « La question de l’autonomie stratégique de l’Union en matière d’accès aux métaux critiques [...] ne doit pas devenir un nouvel extractivisme “vert”. Nous réfutons la logique [...] des objectifs d’extractions décorrélés des ressources disponibles, de la préservation des zones naturelles protégées et de l’environnement des populations. » Ou comment dénoncer dans une première phrase ce qu’on promeut de manière alambiquée dans la seconde : un extractivisme corrélé aux ressources et à la préservation des zones naturelles. Un extractivisme vert.
Dans le genre, la contribution « insoumise » au projet de mine de lithium prévue dans l’Allier vaut elle aussi le détour : « Pour affronter les enjeux énergétiques et écologiques, l’exploitation de certaines ressources minières en France est un objectif d’intérêt général. Mais sa mise en œuvre doit répondre à des exigences strictes. » Comme le « recours à des pratiques les plus protectrices possibles vis-à-vis de la biodiversité », sous supervision du soviet (« gouvernance plurielle, citoyenne et démocratique ») [3].
La gauche actuellement en recomposition ouvrira sans rechigner toutes les veines du monde au nom du climat et de l’emploi. Y compris ici, dans les restes d’un ex-pays minier déjà écologiquement condamné.
tomjo
Illustration : Mine californienne de borate propriété de Rio Tinto