Pas un rond pour la Transition : Expropriation !

mercredi 12 novembre 2025
Déclaration d’intérêts
L’auteur ne perçoit aucune rétribution de l’industrie de la Transition. Contrairement aux associations : 350.org, Alternatiba, Amis de la Terre, ANV-COP21, Banlieues Climat, Notre affaire à tous, Oxfam, Pacte du pouvoir de vivre, Reclaim finance, Réseau Action Climat, Respire, Shift Project, Transport & Environnement, etc.

« La dette d’État, c’est-à-dire l’aliénation de l’État — qu’il soit despotique, constitutionnel ou républicain — marque de son empreinte l’ère capitaliste. La seule partie de la soi-disant richesse nationale qui soit effectivement détenue globalement par les peuples modernes est... leur dette publique. D’où la doctrine moderne, tout à fait conséquente, qui veut que plus un peuple s’endette, plus il s’enrichit. Le crédit public devient le credo du capital. Et au péché contre l’Esprit Saint, qui ne connaît point de pardon, succède, avec l’apparition de l’endettement de l’État, le manquement à la foi en la dette publique. »
Karl Marx, Le Capital (livre 1, ch. 23), 1867.

Les aides publiques aux entreprises, il se trouve toujours des spécialistes pour distinguer les bonnes des mauvaises. Les économistes et les associations pour la Transition prétendent que l’« écologie » réclame des milliards d’euros d’« argent public ». 66 milliards tous les ans, d’après le rapport Pisani-Ferry. 66 milliards à offrir à des criminels comme ArcelorMittal, dont les poussières bouffent l’espérance de vie de ses salariés et de ses riverains. Pour résorber la dette publique, renflouer nos livrets A, stopper les ravages et rendre justice, ne versons plus un eurond aux industriels de la Transition !

Nous sommes une petite centaine de harengs, serrés ce 28 octobre 2025 dans la salle Saint-Joseph de Grande-Synthe (Usinorville), dans l’agglomération dunkerquoise. Le collectif « Indignons-nous » examine un sujet brûlant : Arcelor. D’un côté, l’usine a engagé le licenciement de 200 salariés. De l’autre, en plus d’être le plus gros émetteur de CO2 d’Europe, des relevés de pollutions effectués pour la première fois dans les fumées révèlent des quantités énormes de poussières de carbone et métal pour lesquelles il n’existe ni réglementation ni surveillance (les PM 1, des microparticules inférieures à 1 micromètre) [1].
À la tribune, la CGT et l’asso Respire (auteur des relevés) rappellent l’industriel à ses devoirs : l’État et l’Europe lui ont promis 850 millions d’euros en janvier 2024 pour remplacer ses hauts-fourneaux au coke par des fours électronucléaires, et ainsi résoudre la contradiction entre santé, compétitivité et emploi.

Sans le manque d’entrain du patron Lakshmi Mittal (70 millions d’euros de salaire annuel et une fortune personnelle de 18 milliards) à commencer les travaux, la fable serait exemplaire. Qui se plaindrait d’une si prometteuse utopie ? Un être assez chagrin pour noter que Respire est financée par des industriels du transport « décarboné » [2] ? Des anciens d’Arcelor malades à crever des poussières de leur employeur ?

Crime industriel, argent public, un même ruissellement

« Tout le monde ici peut vous parler des poussières sur les draps qui sèchent ou sur le rebords de fenêtres, commence un ancien d’Arcelor, passé par les sites de Fos-sur-mer et Dunkerque. Aujourd’hui j’ai des enfants asthmatiques, une fille qui a des problèmes neurologiques, moi j’ai fait un AVC et j’ai Parkinson. L’usine c’était la ville, la ville c’était l’usine, mais maintenant faut briser le silence ! »

Un autre enchérit, passé par Arcelor et les chantiers navals : « J’ai de la fibrose dans les poumons à cause de l’amiante. J’ai été indemnisé. Mais le document que j’ai signé spécifie qu’en contrepartie je ne peux pas porter plainte ». Un membre de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante conclut en rappelant que le Parquet de Dunkerque refuse depuis 29 ans d’ouvrir une enquête pénale pour les morts de l’amiante [3].

La contribution d’Arcelor à l’économie interdit-elle à l’État de s’intéresser aux responsabilités pénales de l’industriel ? Une voiture sur deux en Europe est fabriquée avec l’acier Arcelor. L’usine de Mardyck, à côté de Grande-Synthe, sera le principal fournisseur d’acier spécifique aux moteurs électriques grâce à une nouvelle ligne de production qui rejettera en outre 9 700 tonnes de CO2 par an, soit 15 % de rejets supplémentaires [4]. Arcelor forme également le cœur de l’industrie nucléaire française, ainsi que le souligne la CGT Métallurgie :

« Les futurs réacteurs nucléaires nécessitent une quantité considérable d’acier, tant pour la construction que pour les éléments comme les tuyaux, les robinetteries, les rotors des turbines d’Arabelle Solutions. Concernant les gros composants, Industeel, filiale d’ArcelorMittal, fournit les lingots pour la cuve et les forgés, alimentant le Creusot Forge de Framatome [5]. »

Billets verts et argent sale

Arcelor c’est la mort. Naître à Dunkerque, c’est l’assurance de vivre quatre ans de moins qu’ailleurs, avec deux fois plus de risque de cancer des voies aéro-digestives (bouche, nez, larynx, œsophage, là où passent les poussières), et 70 % de plus de maladies nerveuses comme Parkinson et Alzheimer – selon une étude récente de l’Observatoire local de santé, financé lui-même par la Communauté urbaine de Dunkerque, la Banque des territoires, le Secrétariat général à l’investissement, et autres acteurs de la Transition [6].

Découvrez la création d’Usinor après-guerre dans note enquête Nord c’est noir [7]. Aussi collabos qu’aient pu être les maîtres des forges, l’argent des plans Monnet, Marshall et de la Ceca (Communauté européenne du charbon et de l’acier) les gratifia de laminoirs tout neufs et quasi gratuits. Si les industriels de l’automobile (Arcelor, Renault, PSA, Total, Saft, Edf, etc.) se gavent toujours d’« argent public », c’est désormais au nom de la « Transition » : « Chaque batterie produite aux États-Unis génère un crédit d’impôt de 35 dollars [30 euros] par Kwh, soit un tiers du coût », pleurniche le PDG des batteries Verkor à Dunkerque, qui a pourtant reçu 659 millions d’euros de subventions et un prêt garanti par l’Europe de 1,3 milliards [8]. L’ancien directeur de la concurrence à la Commission européenne s’alarme lui-même des subventions accordées aux industriels de la « Transition » :

« J’entends des propositions visant à octroyer des aides opérationnelles aux fabricants européens de batteries. Concrètement, cela revient à ce que l’État couvre les pertes d’exploitation – autrement dit, qu’il finance les fins de mois – sans limite de durée. Et si l’on fait un rapide calcul à partir des demandes formulées aujourd’hui, on aboutit, sous un à deux ans, à une prise en charge publique de 100 % des coûts de l’entreprise [9]. »

La combine est vieille comme la dette publique : « Comme par un coup de baguette magique, elle confère à la monnaie improductive un talent procréateur qui le transforme en capital, sans qu’il ait besoin de s’exposer au dérangement et aux risques des investissements industriels et même des placements usuraires [10] », expliquait Karl Marx dans les années 1860.

Au total, l’économiste Jean Pisani-Ferry, « professeur à Sciences Po », et la polytechnicienne Selma Mahfouz, « membre du Haut conseil pour le climat », rabâchent depuis leur rapport à Matignon de 2023 que la « neutralité carbone » exige 66 milliards d’euros publics tous les ans [11]. De même, le récent Rapport du Sénat sur la « transparence » des aides publiques estime que, en dépit de leur « opacité », les 212 milliards d’aides annuelles aux entreprises demeurent nécessaires pour relever les défis de la « concurrence » internationale et de la « Transition écologique » [12].

Pourquoi pas l’expropriation ?

Dans le cas d’Arcelor, plutôt qu’une aide d’État pour financer sa « décarbonation », les parlementaires de gauche ont soumis au vote de l’Assemblée la nationalisation du sidérurgiste, afin de sauver non seulement l’emploi mais « une filière stratégique pour l’ensemble de l’industrie française (automobile, transports collectifs, énergie…) [13] ». Un « groupe d’économistes et d’experts de la sidérurgie » associé à la France insoumise a évalué cette nationalisation à 4,4 milliards d’euros, payables par des contributions exceptionnelles sur les bénéfices des grandes entreprises et dividendes des actionnaires [14].

Rappelons au passage : ce que les industriels nomment « dividendes » et l’État « argent public », résulte de la plus-value produite par les travailleurs. Combien d’argent Arcelor a-t-elle soutiré depuis son inauguration en 1953, via l’extorsion sous forme d’impôts, de la plus-value que ses travailleurs se sont tués à produire ? Pourquoi devrions-nous offrir des heures de travail gratuit à un industriel riche à milliards, pollueur avéré, et inculpé pour mise en danger de la vie d’autrui, faux et usage de faux sur les rejets de poussières, et atteintes à l’environnement [15] ? Enfin : combien l’usine devrait-elle payer pour la dépollution de son environnement immédiat, la santé de ses salariés et riverains, et la remise en état des paysages, si elle devait fermer ?

L’écologie n’a jamais réclamé de plans d’investissements industriels ; elle réclame une économie débarrassée des plans, des investissements, et des industriels. En revanche, la justice écologique réclame l’expropriation des biens personnels et professionnels des criminels écologiques.

Tomjo

* * *

Lire à ce sujet :

Nord c’est noir, Tomjo, Service compris, 2025, 280 pages, 19 €.
« Désindustrialiser. Notre retour d’expérience sur deux siècles de promesses », Tomjo, Chez Renart, 2025.
Sur le cancer industriel, Pièce détachée n°57, piècesetmaindœuvre.com, 2012.
« La mort à Tarente », Tomjo, 2012, piecesetmaindoeuvre.com.

Notes

[1« Arcelormittal, l’industriel qui nous enfume », respire-asso.org, 2025.

[2Les financeurs de l’association sont les habituels « philanthro-capitalistes » du mouvement climat (Cf. « Maîtres & philanthropes de notre Mouvement climat »). Parmi eux, la Rockefeller Foundation, l’association Transport & Environnement, les trottinettes et vélos électriques Lime, et le plus important soutien : l’European Climate Foundation (Hewlett, Rockefeller, Bezos, Ford, Velux, etc.).

[3L’Andeva a été créée en 2006 à l’appel de 140 veuves de travailleurs de l’amiante, elles sont aujourd’hui 850. Cf. « Vingt-neuf ans après leur plainte, les victimes de l’amiante attendent toujours un procès », La voix du nord, 6 octobre 2025.

[4Dossier de concertation, 2022.

[5« Avenir d’ArcelorMittal : Un enjeu crucial pour la souveraineté industrielle et énergétique ! », ftm-cgt.fr, 12 mai 2025.

[6« Ce que révèle la dernière étude sur la santé des habitants des Hauts-de-Flandre », La voix du nord, 25 juillet 2025.

[7Tomjo, Service compris, 2025, 280 pages, 19 euros.

[8« Ce qui changerait la donne pour l’industrie européenne des batteries, conseille l’ONG Transport & Environnement au même journaliste du Monde, c’est une aide à la production de type IRA [le Plan de Transition de Biden], liée à des critères environnementaux et durables », Cf. « Automobile : les fabricants européens de batteries inquiets », Le Monde, 6 septembre 2025.

[9« Automobile : les fabricants européens de batteries inquiets », Le Monde, 6 septembre 2025.

[10Le Capital, op. cit.

[11Cf. « Les incidences économiques de l’action pour le climat », Rapport à la Première ministre, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, mai 2023, strategie-plan.gouv.fr.

[1263 % pour « l’économie », 11 % pour le « développement durable », 7 % pour le « tourisme », cf. « Transparence et évaluation des aides publiques aux entreprises : une attente démocratique, un gage d’efficacité économique », Rapport de commission d’enquête parlementaire, 1er juillet 2025.

[13« Nationaliser Arcelor-Mittal », lafranceinsoumise.fr, 5 novembre 2025.

[14« Combien coûterait la nationalisation d’ArcelorMittal ? », par un groupe d’experts et d’économistes, Institut La Boétie.

[15« Arcelor mis en examen pour mise en danger de la vie d’autrui », Le Monde, 25 mars 2025.