La rengaine veut que les quartiers populaires ne soient pas des déserts politiques. Parmi les forces en présence et qu’il s’agirait de soutenir selon Julien Talpin, auteur du récent Bâillonner les quartiers (Les Etaques, 2020), ces représentants d’un « islam progressiste » que seraient les Frères musulmans. Renart, définitivement impie, ne pouvait s’en laisser conter. Voilà ce que les lecteurs de Politis, de Médiacités , de Libération et autres auditeurs du « Téléphone sonne » sur France Inter doivent savoir après avoir lu ou entendu le chercheur roubaisien.
Julien Talpin est politologue au CNRS et co-président de l’Institut Alinsky, un institut de formation en mobilisation citoyenne. Nous l’avions remarqué lors de l’affaire du voile à la piscine de Grenoble à l’été 2019, affaire mise en scène par l’islamiste Taous Hamouti qui revendique son admiration à l’égard de Frères musulmans célèbres comme Hani Ramadan, partisan de la lapidation, le dictateur turc Erdogan ou l’ancien président égyptien Morsi [1]. Les militantes du voile aquatique avaient été formées à la Méthode dite « Alinsky » importée des États-Unis par Julien Talpin et son Institut.
Pour la maison d’édition Les Etaques qui vient de publier le livre, la centralité politique réside désormais dans les quartiers, leurs associations, et leurs habitants [2]. L’auteur de Bâillonner les quartiers prend donc la défense de ces habitants avec qui il s’agit de composer. Il explique comment dans les « quartiers » la « répression des opposants oscille entre disqualification symbolique d’un ennemi intérieur (’’racailles’’, ’’mouvance anarcho-autonome’’, ’’frères musulmans’’) et contraintes physiques et matérielles. » Talpin prend à maintes reprises la défense de son ami et camarade, roubaisien comme lui, Ali Rahni, qu’il présente comme une victime d’un pouvoir arbitraire. Ali Rahni est connu pour ses affinités religieuses avec certains prédicateurs dont le plus illustre est Tariq Ramadan.
Les vieux communistes avaient pour devise : « Tout ce qui bouge n’est pas rouge. » Pour en juger dans les « quartiers » ici présentés, il faut rappeler quelques éléments politiques oubliés de l’auteur.
La gauche des quartiers,...
Ali Rahni figure dans l’ouvrage de Julien Talpin parce qu’il a soutenu les habitants du quartier du Pile à Roubaix menacés d’expulsion par une entreprise de rénovation urbaine. Pour ce faire, suivant les préconisations de la sociologue Marie-Hélène Bacqué et du président d’ACLEFEU Mohamed Mechmache, Rahni avait organisé une collecte de doléances via une « Table de quartier ». Cette Table roubaisienne était organisée par l’association Nouveau Regard sur la Jeunesse d’Ali Rahni et l’Université Populaire et Citoyenne (UPC). Rahni entre donc dans le cadre d’analyse quartiériste et post-marxiste que nous évoquions plus haut.
Ali Rahni et sa Table auraient subi les disqualifications de la mairie de droite qui leur reprochait leurs visées politiciennes, à savoir de rouler pour les Verts locaux. Julien Talpin entend dévoiler tout au long du bouquin comment les opposants des « quartiers » sont délégitimés, réprimés, voire écartés des subventions quand ils remuent un peu trop. La belle affaire... Depuis quand le pouvoir finance ses opposants politiques ? Mais ce qui nous préoccupe, c’est le silence de l’auteur, non seulement sur le prosélytisme de Rahni, mais aussi sur son jeu tout-à-fait politicien à Roubaix.
Il y a quelques années, le livre L’Enfer vert [3] relatait le rôle des écologistes dans l’économie roubaisienne. Les mêmes membres de la Table de quartier qui aujourd’hui sont opposés à la mairie étaient présentés comme « marchepied des Verts ». Plusieurs des membres de l’UPC étaient élus à la mairie et au Conseil régional. Ils défendaient à leur manière la création d’un grand écoquartier sur la Zone de l’Union à Roubaix. Le projet, aujourd’hui sorti de terre même s’il est un échec complet, était de démolir les dernières maisons, déloger les derniers habitants, pour y construire un Centre européen des textiles innovants (des textiles techniques pour l’armée et l’aérospatiale) et un centre de recherche de Decathlon-Kipsta.
Les opposants d’aujourd’hui étaient hier dans la majorité municipale. L’UPC réclamait des bancs et des jardins partagés au milieu du futur quartier, et seul le journal La Brique, aidé du sociologue Jean-Pierre Garnier, dénonçait le projet de l’Union et le rôle d’accompagnement des Verts. « Le CETI, KIPSTA... nous avons l’opportunité de construire l’écoquartier ensemble, avec ces forces-là, et non pas séparément. [4] », réclamait le directeur de l’UPC. Ils étaient hier les agents verdoyants du renouvellement urbain, depuis qu’ils ont été éjectés du pouvoir par les électeurs, ils jouent les opposants. Que deviendront-ils s’ils gagnent demain la mairie ?
Les animateurs de la « Table de quartier » sont bien des politiciens. Ni plus ni moins que leurs détracteurs. Ali Rahni est aujourd’hui en cinquième position sur la liste verte aux municipales avec comme ligne sur le C.V. d’avoir dressé la Table du Pile. Ces retournements de veste, Talpin a oublié de les évoquer. Ils auraient pourtant été utiles pour comprendre les « trajectoires militantes » des « quartiers », surtout à la veille des municipales. Comme il aurait été intéressant de connaître les accointances islamistes d’Ali Rahni dont on découvre en passant qu’elles représenteraient un « islam progressiste ».
… la droite des valeurs
Ali Rahni est assez connu sur zone, et ailleurs aussi. Pas un envoyé spécial de la presse parisienne ne manque de lui tendre le micro dès qu’il s’agit d’un « reportage dans l’ancien bastion industriel » ou d’un papier sur le « séparatisme religieux ». Rahni est connu comme un fidèle lieutenant de Tariq Ramadan qu’il a invité plusieurs fois à Roubaix. Quand le prédicateur suisso-qatari est mis en détention en attendant son procès pour viols, Rahni relaie activement la création d’une caisse de soutien pour financer sa défense [5]. Ce n’est que très récemment qu’il prend ses « distances », et du bout des lèvres, avec le prédicateur [6]. On comprend qu’il devienne compliqué de soutenir un inculpé de multiples viols, mais Rahni n’explique cependant pas ce qui le dérange chez Ramadan. Il ne semble pas que ce soit ses idées.
On sait le prédicateur très à cheval sur la morale familiale, si ce n’est tendancieux sur l’excision. En 2013, Ali Rahni signait une tribune incitant les « Français de confession musulmane à rejoindre la Manif pour tous. » Ses co-signataires et lui y défendaient que la mariage homosexuel allait non seulement « bouleverser le cadre traditionnel de la famille, pilier majeur de la cohésion de toute nation », mais aussi ouvrir la porte à « la reconnaissance de l’inceste ou de la pédophilie. [7] » Pfff... heureusement que Renart est là pour vous le dire. Julien Talpin avait omis l’information. Et la section roubaisienne d’EELV ne semble pas s’en soucier.
En décembre 2017, le Conseil régional retire sa subvention à la radio roubaisienne Pastel FM pour cause de prosélytisme. Entre autres bigoteries, les 2 et 16 juin 2017, pendant le Ramadan, Ali Rahni invite l’imam de Villeneuve d’Ascq Ahmed Miktar pour qui la musique est une « intoxication [8] ». Pastel FM fait aussi intervenir régulièrement l’imam Hassan Iquioussen, admirateur d’Hassan-el Bana, fondateur des Frères musulmans. Iquioussen aime aussi deviser avec Alain Soral et pense que « l’homosexualité est un péché [9] ». Hassan Iquioussen a souvent été invité aux micros de l’émission « La Prophétie » d’Ali Rahni. Les deux sont vieux copains. Rahni avait invité l’imam nordiste pour une conférence le 4 novembre 2004. Mais quelques mois plus tôt, le journal L’Humanité révélait la teneur des discours complotistes d’Iquioussen à propos l’holocauste. L’imam assurait que les Juifs d’Europe, « avares et usuriers », avaient organisé leur extermination main dans la main avec Hitler pour justifier ensuite leur migration massive vers la Palestine [10]. Que croyez-vous qu’Ali Rahni ait répondu ? Qu’un tel énergumène n’était pas le bienvenu à Roubaix ? Non, il avait annulé la conférence afin de « laisser passer la tempête médiatique », mais pour mieux la « reporter » [11].
Vous en voulez encore ? Le 19 octobre 2018, Ali Rahni invite dans son émission radiophonique l’imam belge Yacob Mahi. Mahi est un peu connu en Belgique, pour son soutien indéfectible à Tariq Ramadan pendant sa détention, mais surtout pour ses accointances douteuses : il fut proche du négationniste Roger Garaudy en qui il voyait un « un philosophe, un penseur, un maître de sagesse. C’était l’un de mes maîtres spirituels », livrait-il au site Saphir News en 2012 au moment du décès du « philosophe » français [12]. En 2015, ce frère musulman justifiait les départs en Syrie de certains de ses compatriotes belges. Avant cela, il défendait que l’homosexualité était « contre nature » aux yeux de l’islam [13]. Rien qui n’ait jamais suscité une prise de parole publique par le personnage pourtant si médiatique qu’est Ali Rahni. Est-ce cela l’« islam progressiste » ? Est-ce que les Verts de Roubaix s’en soucient ?
Plus généralement, pour bâillonner les quartiers, selon la thèse de Julien Talpin, « Aujourd’hui, ce n’est plus seulement le ’’communautarisme’’ qui est visé mais le ’’prosélytisme’’. » Attendez, attendez... Est-ce moralement condamnable de critiquer le prosélytisme ? Faudrait-il soutenir les prosélytes au prétexte qu’ils défendraient les « quartiers » contre les bulldozers ? Si le Conseil régional a retiré ses subventions à Pastel FM, c’est parce que sa charte interdit que l’argent public ne subventionne un culte. Cela n’a rien à voir avec avec la Table de quartier. Si Ali Rahni fait intervenir un imam dans son émission, il n’a pas le droit de le faire avec de l’argent public. Il n’est pas une victime d’une « laïcité offensive », comme le prétend Julien Talpin, encore moins d’un pouvoir très méchant à l’égard des militants contre le mal-logement.
De l’islamisme social
Talpin reprend à son compte les propos d’un fameux militant des « quartiers » lyonnais Abdelaziz Chaambi. Selon eux, si l’on réprime les gens comme lui (Chaambi) ou Rahni, on fait monter les « salafs ». Selon Talpin, les frères musulmans seraient un rempart contre les salafistes. Talpin les voit même comme les représentants d’un « islam progressiste ». Pour tout progressisme, Chaambi est l’auteur de cette tribune contre le mariage homo, cette voie supposément tracée vers la reconnaissance de l’inceste et la pédophilie [14].
Quant au supposé rempart frériste, il semble peu efficace, voire inexistant. Talpin ne l’ignore pas. Il conférençait le 18 avril 2018 à la Maison des associations de Tourcoing avec Marwan Muhammad, l’ancien président du Comité contre l’islamophobie en France. Dans son allocution, Muhammad exhortait l’auditoire musulman à ne jamais se désolidariser des terroristes islamistes – comme cet autre Frère cité plus haut, le belge Yacob Mahi. Ce serait faire le jeu de on-ne-sait-qui qui réclamerait encore des comptes à la communauté musulmane française. Alors que tout le monde réclame de ne pas faire d’amalgames entre terroristes, islamistes, et musulmans, Muhammad réclame aux musulmans dans la salle de s’amalgamer aux terroristes salafistes, de ne pas s’en dissocier. Est-ce ainsi que les Frères musulmans font barrage aux salafistes à Roubaix et Tourcoing ?
Idéologiquement, Ali Rahni pourrait être le défenseur d’un « islamisme social » comme il existait hier un « catholicisme social ». En 2011, il avouait à Libération sa dette envers l’ancien maire de Roubaix, de droite, André Diligent : « Roubaix a été un laboratoire démocratique au temps d’André Diligent. C’était un démocrate chrétien. Pourquoi ne pas s’en inspirer pour bâtir une social-démocratie musulmane ? [15] », prônait-il pendant la révolution tunisienne. Ici encore, on a fait plus progressiste.
Avant de savoir avec qui nouer ou non des alliances dans les fameux « quartiers », encore faudrait-il connaître le pedigree de ses représentants les plus médiatisés. Voilà donc quelques éléments biographiques qui ne manqueront pas d’éclairer les lecteurs de Bâillonner les quartiers. La question demeure cependant de savoir pourquoi Julien Talpin a laissé tant de zones d’ombres.