Notre Bibliothèque verte rassemble ces auteurs et artistes partageant cette « façon native d’être au monde » qu’on nomme depuis cinquante ans l’écologie. Camus et Yourcenar y entrent ensemble. Ces deux rétifs à l’esprit d’église et de parti exprimèrent un dégoût assez similaire devant l’enrégimentation des hommes et des paysages par la société bureaucratisée, machinique, industrielle. On doit quand même à Camus le premier sursaut contre la bombe atomique quand d’autres applaudissaient à une révolution scientifique (Le Monde, L’Humanité, etc). « Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques. » (Combat, 8 août 1945)
Yourcenar, de son vrai nom Crayencour (l’anagramme a perdu une lettre), est la locale de cette Bibliothèque, née à Bruxelles, d’une lignée aristo flamande, élevée au Mont-Noir. Dans ses Archives du Nord (1977), Yourcenar remonte son étude régionale et généalogique depuis l’époque de la Flandre espagnole au début du XVIe.
Je ne fais pas du passé une idole : cette visite à quelques obscures familles de ce qui est aujourd’hui le Nord de la France nous a montré ce que nous aurions vu n’importe où[...]. L’homme a fait de tout temps quelque bien et beaucoup de mal ; les moyens d’action mécaniques et chimiques qu’il s’est récemment donnés, et la progression quasi géométrique de leurs effets ont rendu ce mal irréversible ; d’autre part, des erreurs et des crimes négligeables tant que l’humanité n’était sur la terre qu’une espèce comme une autre, sont devenus mortels depuis que l’homme, pris de folie, se croit tout puissant. Le Cleenwerck du XVIIe siècle a dû s’inquiéter en voyant monter autour de Cassel la fumée des bombardes de Monsieur, frère du roi, combattant la prince d’Orange ; l’air que respirera la fille de Michel et Fernande [Marguerite elle-même] portera jusqu’à elle les fumées d’Auschwitz, de Dresde et d’Hiroshima.
Son classicisme soutenu (et parfois un peu ennuyeux) lui valut d’être la première femme à l’Académie française, entre autres distinctions. On la connaît aussi comme soutien à la cause des animaux, aux amis de la Terre, aux droits civiques. Renaud Garcia et Marius Blouin la présentent pour nous ici. Qu’ils en soient remerciés.
Tant qu’on y est. Camus est encore dernièrement sali pour avoir défendu que la fin ne justifie pas les moyens. On en lira une défense, sans appel selon nous, par l’historien Nedjib Sidi Moussa sur le site de la revue A Contre temps.