Un participant de la manif contre STMicro à Grenoble s’est fendu d’une « critique anarchiste » du groupe « Anti Tech Resistance », interdit quelques jours plus tôt de la dite manif par les Soulèvements de la Terre, selon le récit publié ici. L’auteur du texte ci-dessous (qu’on ne connait pas) rappelle avec l’ironie qui préside à la situation que la « critique anarchiste » d’ATR sied plus et mieux encore aux Soulèvements de la Terre, de plus en plus pointés pour leur verticalité, et leurs pratiques autoritaires.
Il y a de quoi être surpris à la lecture d’un texte paru en mai 2025 sur le site Lundi matin [1]. Il s’agit d’un article longuement développé pour documenter les pratiques du collectif ATR (Anti-Tech Résistance). Si la critique du léninisme anti-industriel est pertinente, c’est à cause de quelques procédés pas forcément très honnêtes que l’on éprouve une gêne certaine à sa lecture. En effet, l’article est particulièrement précis lorsqu’il s’agit de dénoncer les méthodes d’ATR (organisation hiérarchique, propagande ciblée, fascination contradictoire pour les dispositifs technologiques et les réseaux sociaux, etc.) et il se montre au contraire tout à fait allusif lorsqu’il s’agit d’étendre cette même critique à « d’autres collectifs ». Pourquoi ces derniers n’ont-ils pas droit à un traitement semblable, s’il s’agit de s’interroger sur « nos propres pratiques » - l’italique est dans le texte d’origine ? Le contraste est particulièrement saisissant à plusieurs endroits, concentrés dans la conclusion. Petit florilège :
« Les pratiques d’ATR qui mettent en avant l’efficacité au détriment de l’éthique, l’importation de pratiques managériales en milieu militant résonnent avec bon nombre de comportements qu’on a pu observer ici ou là ».
« La (sur)valorisation de la « stratégie » et la délégitimation des fonctionnements collectifs et des principes inspirés de l’anarchisme (mandat impératif, fédéralisme) semblent traverser nombre de collectifs ».
« Les reproches faits ici à Anti-Tech Resistance peuvent se transposer à d’autres organisations militantes ».
À chaque fois, lancinante, revient cette même question : mais quelles sont donc ces autres organisations ? On n’en saura rien. Voilà qui a de quoi surprendre dans un article qui, par ailleurs, ne mégote pas ses informations, au moyen d’un imposant appareil de notes. Et l’on sera encore plus surpris de cette ultime volte-face, après que l’auteur a dépensé tant de temps à montrer le danger que représentent les pratiques d’ATR :
« De fait, il me semblerait particulièrement mal venu de faire d’Anti-Tech Resistance un bouc émissaire, à « bannir » de certains espaces militants pour s’acheter une conscience ».
Il y a vraiment tout lieu de s’émerveiller : ou comment conclure, en affirmant le contraire de ce que l’article vise si manifestement à provoquer ! A chacun ses manières de s’acheter une conscience. Mais la suite immédiate est encore plus troublante : « C’était pourtant le sujet [bannir ATR] de plusieurs discussions qui ont eu lieu récemment à différents endroits en France ». Le lecteur curieux voudrait certainement en savoir plus, mais qu’il ne s’attende pas à trouver davantage de précisions, le flou est à nouveau de mise. On reconnaîtra à Nicolas Bonanni la maîtrise de l’art du conteur : maintenir la curiosité par un subtil dosage de divulgation et de rétention d’informations. L’auteur prend surtout soin de se présenter sous un jour favorable, en se peignant en défenseur courageux de ceux qui sont la cible de son texte :
« On m’a même affirmé récemment que l’existence d’Anti-Tech Resistance préparait la voie à la création d’une organisation éco-fasciste – ce qui est absurde puisque ATR rejette explicitement l’éco-fascisme et toute forme de planification à grande échelle. Quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage. »
Certes. Mais si l’on a bien compris qu’ATR était le chien enragé, on n’en sait toujours pas plus sur son mystérieux propriétaire. A moins, évidemment, d’être dans le secret des dieux. L’article ne s’adresserait-il qu’aux heureux élus ? N’est-ce pas là une de ces attitudes « avant-gardistes et élitistes » dont l’auteur lui-même considère qu’il faut se défaire ?
Quelques éléments de contexte s’imposent donc. Grenoble, mars 2025 : une organisation, prétendument horizontale, mais fonctionnant selon le modèle hiérarchique et autoritaire dénoncé par NB, est appelée à soutenir la lutte locale contre l’usine de production de puces électroniques du nom de STMicro. Ambiance de potes, décrets de despotes : les interdictions pleuvent – sujets à ne pas aborder, auteurs à ne pas citer, décisions à ne pas contester – et visent également la présence d’un collectif. Le lecteur perspicace aura évidemment deviné duquel il s’agit. La raison avancée : « ATR a critiqué l’orga » (celle-dont-on-doit-taire-le-nom). Vote imposé, ATR est interdit de défiler et de tracter. Six membres dudit collectif, une délégation effrayante en nombre, ont tout de même fait le voyage. Pour s’assurer qu’ils ne puissent pas prendre la parole, l’orga (celle-dont-le-nom-ne-doit-pas-être-proféré) déploie tout l’arsenal des techniques d’intimidation : obstruction, menaces physiques, agression verbale, etc. A six contre des dizaines. Pour avoir formulé un désaccord. Qui a dit pratiques autoritaires ?
Mais surtout, pourquoi Nicolas Bonanni, si disert dès qu’il s’agit de mettre en cause ATR, ne se montre pas plus explicite dès lors qu’il s’agit de les défendre ? Et pourquoi, d’un coup, les lieux, les dates, les informations précises se dérobent-elles ? Pourquoi, d’un coup, la peur de désigner ? Serait-ce parce que l’intimidation fonctionne ? Dissipons donc d’abord les brumes qui entourent l’organisation-dont-on-ne-dit-pas-le-nom : pour rompre le charme, on dira que celui-ci commence par soulèvements et se termine par terre [2].
Ce qui interroge sur la nature du geste de NB, c’est que toutes les critiques qu’il adresse à ATR peuvent être adressées, avec plus de motifs pour chacune d’entre elles, aux Soulèvements, pardon, aux Aménagements de la Terre : organisation hiérarchique, usage intensif des réseaux sociaux et logique de merchandising (capsules vidéo « publicitaires », goodies, relooking des luttes en prêt à consommer de la révolte, etc.), manipulation (faut-il rappeler Sainte-Soline ?), fascination pour la puissance, avec en prime, comme on vient de le rappeler, une tendance ultra-autoritaire. Finalement ATR, c’est un bébé SLT – jusqu’à présent, sans les méthodes d’intimidation dont ils sont au contraire victimes. A cette différence notable, comme le reconnaît NB lui-même, qu’ATR joue cartes sur table. Pourquoi alors ne s’en prendre qu’au plus petit et au plus honnête des deux ? On a déjà connu attitude plus équitable. Et comment qualifier le fait de s’en prendre au plus faible, celui qui a justement été victime des manigances du plus fort, sans jamais adresser un mot de critique franche et directe à ce dernier ? On a déjà connu attitude plus libertaire. Voilà donc les raisons d’être surpris, c’est un euphémisme, à la lecture d’un texte qui se prétend écrit d’un point de vue anarchiste.