Renart a participé à hauteur de ses moyens, c’est à dire pas très haut, à la publication de cette tribune : le Grand Paris n’est pas une opportunité pour rendre la métropole plus démocratique et inclusive, il est un désastre annoncé. Qu’il soit "néolibéral" ou "citoyen" ne changera rien.
En dépit des incantations quasi religieuses à les rendre douces, apaisées, durables, inclusives, égalitaires, créatives, citoyennes, démocratiques (liste non exhaustive), les métropoles sont de moins en moins acceptées par les populations. Sans doute est-ce ce refus populaire qui a incité un « collectif de personnalités », pour l’essentiel architectes et urbanistes, parisiens et de « gauche », à signer une tribune publiée dans Le Monde sous le titre « Avec le Grand Paris, le temps de la citoyenneté métropolitaine est venu » - notez le caractère affirmatif (19/02/2020).
Pourtant, quelques chiffres suffisent à prendre la mesure du cauchemar métropolitain. Le Grand Paris, ce ne sont pas moins de 40 milliards d’euros de coûts envisagés, 200 kilomètres de lignes de métro supplémentaires, 160 kilomètres de tunnels à percer, 68 gares à construire à l’horizon 2030, pour certaines éloignées de toute habitation, mais bien articulées aux pôles stratégiques dits « d’excellence et de compétitivité », où recherche et développement permettront au capitalisme devenu transnational de prospérer. Ce sont aussi des centaines d’opérations de promotion et de densification immobilière autour des gares du Grand Paris Express (80 000 logements / an), ainsi que tous les concours « inventer/réinventer » accélérant la dérégulation au profit de la financiarisation. Et au delà, c’est une vaste industrialisation et urbanisation de toute la vallée de la Seine et une intensification des pratiques de l’agriculture industrielle que dessine le Grand Paris.
En conséquence, ce seront près de 40 millions de tonnes de déblais à revaloriser dans d’autres chantiers d’artificialisation de l’environnement, des millions de mètres cubes de roches calcaires et de sables à prélever dans des carrières d’ores et déjà saturées en France, des milliers d’hectares de terres fertiles à stériliser par le bitume, ainsi qu’une biodiversité ravagée par la destruction des habitats écologiques, et, bien sûr, des émissions de CO2 et de particules fines qui vont encore exploser.
Voilà ce qu’il s’agirait de démocratiser : le désastre.
Le propos défendu par les signataires de la tribune du Monde est le suivant : pour faire accepter les métropoles aux habitant·e·s, il conviendrait de lutter contre les injustices et exclusions croissantes, et, pour ce faire, de construire d’autres échelles d’intervention politique plus en phase avec la réalité métropolitaine. Mais une chose est d’appeler à de « nouvelles » formes de régulations, une autre est de dévoiler les causes structurelles des situations décriées. C’est là toute l’inconséquence de cette tribune. En réponse, tout ce que ces personnalités trouvent à dire, c’est qu’il nous faudrait encore étendre les périmètres de compétence des instances politiques et éduquer le peuple à d’autres citoyennetés. Bref, à transformer le poison en remède.
Le Grand Paris exploite jusqu’à la démesure l’économie néolibérale mondialisée pour construire à tour de bras et attirer entreprises, investisseurs, touristes et classes sociales à fort capital culturel ou financier. Contrairement à ce que laissent entendre les signataires de la tribune, le Grand Paris ne saurait en aucun cas offrir des « opportunités extraordinaires à ses habitants », si ce n’est à la petite bourgeoisie intellectuelle disposée à tirer le bénéfice de l’attractivité de la ville-monde. Par quel miracle l’éloignement proposé des cœurs de la décision par de nouveaux pouvoirs (inter)communaux produirait-il une puissance d’agir accrue pour des habitant·e·s déjà voué·e·s à l’impuissance en matière d’urbanisation et d’urbanisme et in fine de leur habiter même ? En fait de citoyenneté métropolitaine, on ne trouvera au mieux que des moments de « participation » après « montée en compétence » de citoyens-ingénieurs de leur environnement. Tout ceci n’est que du vent visant à renforcer les savoirs de gouvernement et ne sert en rien l’impératif d’auto-gouvernement des espaces de vie par leurs habitants.
Pour autant, ce vent masque mal la tempête qui gronde dans les plis ou en dehors des métropoles dont toutes obéissent au même projet, chez tous les exclus du plan qui refusent la cogestion métropolitaine. Aucun enseignement n’aurait-il été tiré de la colère des Gilets jaunes ? Car à l’éloge de l’attractivité, de l’excellence et de l’innovation énoncé par les premiers de cordée, répond la déshumanisation d’une vie quotidienne harassante et mutilée, et l’effondrement des espaces de vie que nous subissons.
Dans le vieux monde de l’urbanisme, la métropolisation reste l’unique horizon désirable de la condition humaine. C’est la grandeur d’un mythe productiviste toujours vif quia depuis quelques siècles déjà l’artificialisation de la planète comme emblème de civilisation, par concentration et polarisation, densification et bétonisation. Dès lors, contre le mot d’ordre de la démesure et la décadence urbaine qu’il engendre, celui du jour est indéniablement de désurbaniser. Et, à en juger par la pléthore de tribunes du monde vantant les mérites d’une métropolisation « régulée », commencer par démanteler l’idéologie technocratique et ses fétiches. D’autant qu’on assiste à la démultiplication des formes d’habiter à taille humaine, contrela métropole. Car il est simplement impossible de prendre soin du vivant entassé.e.s et compressé.e.s à ce point. Les gens préfèrent être vivants… en précipitant l’effondrement métropolitain, ne serait-ce, simplement, qu’en partant.
La liste des signataires est ici.